Les entreprises de sécurité privée se préparent au « partenariat » avec l’État
En ouverture du salon Milipol, dédié à la sécurité intérieure des États, Christophe Castaner est revenu sur le projet de « partenariat » entre les forces de sécurité publiques et privées. Détaillé dans le Livre blanc sur la sécurité intérieure attendu pour 2020, des sociétés de sécurité privée pourraient accepter des missions actuellement remplies par les forces de sécurité de l’État
Les appels à confier aux entreprises de sécurité privée certaines missions assurées par des forces publiques se sont multipliés ces dernières années. Mais s’il est en croissance, le secteur souffre toujours de fragilités qui compliquent le processus.
Le ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner, l’a dit en ouverture du salon Milipol, dédié à la sécurité intérieure des États et qui se tient jusqu’à vendredi à Villepinte (Seine-Saint-Denis) : le « partenariat » entre les forces de sécurité publiques et privées, pour faire face aux menaces, est « indispensable », et même « une condition de survie des outils de protection des Français ».
Mais comment l’articuler ? « Le continuum de sécurité est un très beau concept, mais derrière, il faut du concret », a observé mercredi Claude Tarlet, président de la Fédération française de la sécurité privée (FFSP). « Cela passe par la définition d’un certain nombre de règles fondamentales ».
168 000 salariés en 2016
C’est l’un des enjeux du Livre blanc sur la sécurité intérieure, en cours d’élaboration au ministère de l’Intérieur et attendu au début de l’année 2020, a rappelé mercredi Alice Thourot. La députée (LREM) de la Drôme a rédigé en juin 2018 un rapport sur le sujet, avec l’ancien chef du Raid Jean-Michel Fauvergue.
Les parlementaires y proposaient notamment de confier à des sociétés privées des missions actuellement remplies par les forces de sécurité de l’État, gardes statiques, transfert de détenus hospitalisés non dangereux, activités non régaliennes dans les centres de rétention administratifs, protection de personnalités…
Les quelque 11 000 entreprises du secteur sont un réservoir de bras – 168 000 salariés en 2016, selon un rapport de la Cour des comptes de février 2018 – important au regard du nombre des acteurs de la sécurité publique, à peine deux fois plus nombreux (303 000 personnes pour l’année 2016 selon la Cour des Comptes, qui dénombre outre police et gendarmerie, les policiers municipaux, réservistes et force Sentinelle).
« Un modèle économique durable » recherché
En outre, « ces forces sont présentes sur plein d’endroits publics où la police ne se trouve pas, centres commerciaux, stades, sièges d’entreprises… », énumère Catherine Piana, directrice générale de la Confédération européenne des Services de sécurité (CoESS). « Quand ils voient des choses non régulières, ils pourraient être formés à transmettre les informations ».
Mais la Cour des Comptes a aussi mis le doigt sur « les faiblesses persistantes du secteur ». Le monde de la sécurité privée pesait environ 6,6 milliards d’euros de chiffre d’affaires hors taxes en 2016, mais se caractérise par une forte atomisation et une faible rentabilité.
« Nous devons chercher et tendre vers un modèle économique durable », a expliqué Alice Thourot, précisant que les entreprises de moins de 10 salariés représentaient 80 % du nombre des entreprises de sécurité privée, mais moins de 10 % du chiffre d’affaires global.
Objectif : « structurer le secteur et générer de la confiance pour les donneurs d’ordres, publics ou privés », a-t-elle encore estimé. L’atomisation du secteur a en effet pour conséquence une forte concurrence et des prix bas, qui peuvent se ressentir sur la qualité de service.
Plusieurs pistes de réflexion
Parmi les pistes de réflexion, un système de certification a été avancé mercredi, pour distinguer les services de qualité.
« Pour mieux travailler ensemble, il faut mieux se connaître, et pour ça la question de la formation est fondamentale », ajoute la députée Alice Thourot, qui propose un cursus unique pour le public et le privé, et la possibilité de passerelles. Enfin, elle insiste sur la nécessité d’en faire des « métiers attractifs », alors que le secteur peine parfois à recruter.
La Cour des Comptes avait appelé à un « pilotage renforcé de l’État », dans un pays qui, rappelle Catherine Piana, a connu « une séparation assez nette jusqu’à présent entre les forces policières et privées ».
« Dans d’autres sociétés, dans les pays nordiques, l’Espagne ou la Belgique, la relation est peut-être plus mature, plus aboutie », poursuit-elle. Mais il y a « un mouvement », « une envie d’avancer ensemble de la part du secteur ».
« Il ne faut pas tout attendre de l’État », estime de son côté Claude Tarlet. S’il doit assurer « l’équilibre de sécurité entre la logique de protection » et « les libertés publiques », « la sphère économique doit être organisée par les entrepreneurs eux-mêmes ».
Le cadre règlementaire des nouvelles activités de sécurité armées
La loi n° 2017-158 du 28 février 2017 relative à la sécurité publique rénove le cadre législatif de l’utilisation des armes dans le secteur de la sécurité privée. Le décret n°2017-1844 du 29 décembre 2017 et les arrêtés du 28 septembre 2018 précisent les modalités de formation initiale et continue, d’acquisition, de détention et de conservation des armes, et de certification des organismes de formation.
Une nouvelle activité de sécurité privée est créée, permettant la réalisation de prestations de surveillance et de gardiennage avec l’utilisation d’armes de catégorie B et D (1° bis du L. 611-1). Les entreprises de gardiennage qui souhaiteront réaliser ces prestations devront créer une structure ad hoc et obtenir une autorisation spécifique, cette activité étant strictement soumise au principe d’exclusivité. L’emploi d’armes de catégorie B et D (3° du L. 611-1) est également rendu possible pour les agents de protection physique des personnes.
Enfin, les agents de surveillance humaine ainsi que les agents cynophiles pourront utiliser des armes de la catégorie D (1° du L. 611-1).
L’exercice de ces nouvelles activités de gardiennage et de protection physique armées est cependant restreint au cadre de missions autorisées par l’autorité administrative compétente (le préfet pour la surveillance et le gardiennage, le ministre de l’Intérieur pour la protection physique des personnes), justifiées par l’existence d’un risque exceptionnel.
Une formation initiale spécifique
D’une durée de 71 heures pour le maniement des armes de catégorie D (tonfas, matraques, aérosols), et respectivement de 139 heures et 157 heures pour le maniement des armes de catégorie B et D pour les agents de surveillance humaine et ceux de protection physique des personnes, la formation à l’armement est, comme toutes les formations initiales de la sécurité privée, sanctionnée par un examen et par la délivrance d’une certification professionnelle reconnue par le ministère de l’intérieur.
Tout agent souhaitant se former au maniement des armes de catégorie B devra solliciter une autorisation préalable d’entrée en formation et ce, même s’il détient une carte professionnelle en cours de validité.
Le fichier national des personnes interdites d’acquisition et de détention d’armes (FINIADA) sera consulté, en sus des fichiers déjà interrogés dans le cadre de l’enquête administrative conduite par le CNAPS.
Des entraînements réguliers obligatoires
Les agents titulaires d’une carte permettant l’exercice d’activité armée sont soumis au suivi d’entrainements annuels réguliers : 2 séances de 7 heures pour les armes de la catégorie D et 4 séances d’1 heure pour les armes de la catégorie B.
Le suivi de ces entraînements et de la formation continue obligatoire (MAC) conditionnera le renouvellement de la carte professionnelle. La formation initiale et les entraînements réguliers devront par ailleurs être réalisés par les organismes de formation autorisés par le CNAPS.