« Il faut une meilleure collaboration entre les services de sécurité privée et l’État »
Les forces de l’ordre sont les seules à pouvoir intervenir pour rétablir la tranquillité publique. En revanche, la crise actuelle des Gilets jaunes pourrait être l’occasion de découvrir les ressources des sociétés de sécurité privée au bénéfice des entreprises, plus particulièrement au service des commerces particulièrement exposés. Les Champs Élysées et les rues adjacentes en constituèrent un exemple parfait les 24 novembre et 1er décembre derniers. De nombreuses enseignes sur cette zone font appel à des agents de sécurité privés pour la prévention et le contrôle d’accès. Ces derniers se sont révélés particulièrement précieux lorsque les violences et les dégradations ont commencé.
Comment? En prenant en charge les personnes bloquées sur le site. Si les médias couvrirent abondamment le vandalisme qui s’exprima tout au long de ses journées sur la voie publique, on parla beaucoup moins des difficultés rencontrées dans les locaux professionnels, en particulier de tous les salariés et clients bloqués dans leurs bureaux et boutiques sur «la plus belle avenue du monde» dans le périmètre triangulaire Porte Maillot-Concorde-Pont de l’Alma. Ce sont des agents de sécurité qui évacuèrent des clients et certains personnels des sites pris dans la nasse de violence déployée par les casseurs. On peut même affirmer que les enseignes dans lesquelles les agents ont montré une présence dissuasive furent peu été touchées. C’est une excellente nouvelle pour la préservation des personnes et qui témoigne de l’utilité d’une présence passive et dissuasive, mais aussi active (dans le cas des évacuations) des sociétés privées de sécurité. C’est également une preuve que les services rendus auprès des sites sécurisés (certes contractuels et rémunérés) ont un retour direct sur investissement pour les entreprises clientes (dégâts évités, absence de problématiques d’assurance, permettre la continuité du fonctionnement des enseignes dès la crise passée sans délais de travaux de remise en état, économie des coûts supportés par les assurances et les magasins).
Par ailleurs, les sociétés de sécurité privée assurent une fonction d’anticipation qui se révèle désormais précieuse: elles peuvent inciter un certain nombre d’opérateurs à renforcer des dispositifs de sécurisation dans le cas d’expositions spécifiques aux risques. Les sites et enseignes parisiennes (notamment dans certains secteurs) sont spécialement visés par les activistes d’ultragauche. Néanmoins, la même capacité apparaît cruciale sur l’ensemble du territoire. Partout en France, les sociétés de sécurité privée, en s’appuyant sur leur maillage territorial, ont mené des actions de sécurisation et de protection de sites de l’économie (commerces, hôtels, entrepôts logistiques…) et du personnel y travaillant. Capacité d’autant plus importante que les forces de l’ordre ne peuvent pas sécuriser individuellement les commerces.
En outre, des agents peuvent recueillir, durant toute une journée et même une nuit, des informations extrêmement utiles aux forces de l’ordre, sur les mouvements et regroupements de manifestants/casseurs.
Or, il faut actuellement faire le constat de l’absence de communication du secteur privé de la sécurité avec les dispositifs étatiques centraux ou locaux de gestion de crise. À ce jour, aucune cohérence d’anticipation, de conduite et de réaction n’existe entre les sociétés de sécurité et les dispositifs régaliens de sécurité publique. Aucune communication n’est prévue en amont vers des sociétés qui sont pourtant présentes auprès de leurs clients et constituent autant de potentiels de conseil pour mieux protéger les collaborateurs et les biens. Aucune prise en compte de ces acteurs de terrain qui forment cependant des sources de renseignement en temps réel avec un maillage territorial fort. Aucun réseau de communication ne permet aux deux types d’acteurs de la sécurité (étatiques et privés) d’échanger. Enfin, impossible de s’appuyer sur une procédure commune, notamment sur la gestion de pics localisés de crise (citons comme illustration des personnes piégées dans des magasins, n’osant pas en sortir).
Par conséquent, pour que les notions de sécurité globale et de continuum de sécurité deviennent des notions signifiantes, il serait utile de prendre quelques mesures de bon sens. À titre d’illustrations, il serait efficace d’identifier une enceinte à l’intérieur de laquelle ces deux acteurs puissent se rencontrer, échanger et anticiper. Un tel partage de certaines informations (celles que la puissance publique est en mesure de diffuser) dans le cadre des missions particulières des sociétés de sécurité privée, autoriseraient ces dernières à être des relais de prévention auprès de leurs clients, à faciliter l’anticipation et donc l’adaptation des dispositifs et donc à réduire le risque pesant sur les clients et les agents. Les acteurs privés pourraient de surcroît devenir destinataires de bulletins d’information en temps réel permettant de donner à leurs clients des consignes utiles. Des procédures connues des uns et des autres en cas de situations de crises particulières aideraient grandement chacun des partenaires.
Avons-nous réellement compris les mutations intervenues dans la gestion du risque depuis vingt ans? Ce qui semble un acquis dans beaucoup de pays reste un défi en France. Les activistes de notre époque agissent en groupes mobiles, extrêmement virulents, décentralisés et utilisant au maximum tous les instruments de l’ère numérique. Non seulement ils s’attaquent aux symboles institutionnels, mémoriels (Arc de Triomphe) et aux forces de l’ordre, mais ils s’en prennent également aux intérêts économiques et impactent directement l’activité touristique et commerciale des grandes métropoles. Face à de tels enjeux, l’État a besoin du concours de toutes les forces disponibles: l’essentiel est qu’il demeure le chef d’orchestre de toutes les actions de sécurité et qu’il conserve le monopole sur ce qui réside au cœur de la souveraineté (ordre public et judiciaire). À défaut, il s’épuisera à vouloir garantir une protection tous azimuts dont il n’a plus véritablement les moyens.
Source: FIGAROVOX